LA MESCLA: de l’eau sous la montagne

Plongeur depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été fasciné par les explorations sous-marines peu-ordinaires, non pas les aventures collectives comme celles de Cousteau, mais plutôt celles solitaires, mettant en jeu une force mentale incroyable, comme une sorte de voyage intérieur. Aujourd’hui, fort de plusieurs milliers de plongées à travers le Monde, j’ai la chance de ramener des images de gens très « différents » ou encore d’endroits parfois hors-normes.

Parmi ces mondes aquatiques, celui qui ne laisse jamais indifférent est celui de l’univers souterrain. Crainte, effroi, malaise ou passion, aventure et découverte. Je suis arrivé à l’eau douce grâce à la curiosité, l’envie de découvrir un autre monde, caché, enfoui sous terre, protégé parfois par des kilomètres de galeries et servi par des personnages passionnés. Ces rivières sans soleil sont une quête mystique pour les spéléonautes. L’inconnu, l’au-delà, l’exploration de galeries vierges, ouvrir les yeux sur un monde qui n’a jamais vu la lumière dans un élément si vital pour l’homme, l’eau douce… Il n’en fallait pas moins pour que la science et l’aventure se rejoignent. L’un au service de l’autre, l’un servant d’excuse à l’autre, l’un retenant l’autre parfois… l’eau douce devient un objectif commun.

Se retrouver à plus d’un kilomètre de la sortie et de la lumière du soleil sans aucun échappatoire possible, demande une maitrise de soi ultime pour ne pas sombrer dans une psychose dramatique et fatale. Ces hommes, scientifiques ou plongeurs, unis dans une même quête sont tous peu ordinaires avec une grande force de caractère. L’évolution du matériel, de la connaissance de la physiologie de la plongée, de la décompression, l’utilisation de recycleurs pour augmenter l’autonomie, et bien d’autres nouvelles technologies, ont permis d’augmenter au fil des années, le champ d’action et de découverte au fin fond des siphons noyés. L’esprit de découverte les obsède, la curiosité les amène à repousser les limites en déployant de nouveaux outils. La quête de l’eau souterraine est sans fin.

A une trentaine de kilomètres de Nice, en remontant le Var, se trouve un siphon qui serpente sous la montagne, la Mescla. Connue depuis 1900, plongée à partir des années 50 pour la première fois en apnée, puis en scaphandre autonome, elle a vu défiler tous les grands noms de la spéléologie sous-marine mondiale. Cette source, au gré des explorations a livré des particularités étonnantes, une eau chaude, légèrement salée et un débit important, de quoi attiser la curiosité. Depuis sa première plongée, le terminus n’a toujours pas été approché et demeure un mystère au fond d’un puit insondable.  La dernière exploration sous-marine remonte à 2007, avec l’un des meilleurs spéléonautes au Monde, Éric Establie, et pratiquement 1 km de galeries sous-marines explorées pour une profondeur atteinte de 140m sous la surface. D’autres noms célèbres comme Francis Leguen ont également fait avancer le terminus dans les années 80 et ont rapporté beaucoup d’informations aux scientifiques : des prélèvements d’eau, de la topographie, de la coloration, et des images précieuses pour les chercheurs…

J’ai découvert la Mescla en 2000. Une longue ballade jusqu’au fameux puit. Tranquille, sans stress, sans objectif. Juste profiter d’un voyage offert par des amis spéléo. Je découvre dans le silence la particularité de ce siphon. Une eau chaude, salée et abondante. La source de la Mescla est ce graal si convoité… de quoi attiser la curiosité. Son origine est un mystère au fond de ce puit insondable. La quête mystique de l’homme sur l’inconnu. Je la garde bien à l’abris dans ma mémoire, en rêvant un jour d’en faire un film.

15 ans plus tard, je plonge régulièrement avec un aventurier discret, sous les branches du Lac de St-Cassien dans le Var, à la recherche des silures. Je connais bien son parcours, son histoire mais j’apprécie bien plus encore sa sensibilité au plaisir simple de l’eau. Ce rêveur souterrain est Didier Quartiano. Une complicité s’installe à pister les silures dans ces eaux sans visibilité. Il me parle de la Mescla, comme d’une dame. Une dame qu’il respecte, qu’il vénère presque. Ses mots font revenir mes souvenirs lointains de film dans cet univers sans soleil. Le challenge est lancé : mettre en image la Mescla, la fameuse Mescla. Je me plonge dans son histoire, entre drame et passion. Je m’aperçois que tous les grands noms de la spéléo y sont venus tremper leurs palmes. Par le biais de portraits croisés de ces grands aventuriers qui se sont succédés au fils des décennies, mon film se dessine devant moi comme une évidence aussi limpide que les eaux de la Mescla.

Les portraits des spéléonautes seront illustrés d’images d’époque, avec des archives inédites comme avec le film tourné en 16mm de Pierre Aimon lors de l’exploration de Didier Sessegolo en 1987. Chaque spéléonaute relatera son aventure, sa quête, et comment il a contribué à faire avancer les connaissances sur les mystères de la Mescla.

Ce film sera bien sûr informatif, avec des connaissances bien précises sur le plan géologique et hydrologique. Mais il sera avant tout le récit vibrant de la quête mystique de l’homme sur l’inconnu. Chaque spéléonaute racontera ce qui l’a poussé à affronter le noir, le froid et la solitude de ces grottes. Ils feront ressortir leurs émotions comme l’euphorie de découvrir une zone inexplorée, ou encore leurs angoisses liés à des incidents ou des drames. Ces drames qui justement font malheureusement parti de leur vie. Plongeurs d’élite, explorateurs de l’inconnu, ils ont toujours en ligne de mire la frontière à ne pas franchir. Chacun des ces spéléonautes a été amené un jour à aller chercher le corps d’un plongeur, victime de sa passion dans une galerie éloignée. Chacun a connu l’horreur de ramener un corps inerte sur plusieurs centaines de mètres jusqu’à la sortie, car seuls eux pouvaient l’atteindre. Plusieurs stèles et panneaux sont présents pour rappeler à la vigilance.

Aujourd’hui, une autre équipe, composée de Frederic Swierczynski et de Didier Quartiano, s’engage à nouveau dans la Mescla pour tenter d’apporter de nouvelles informations sur l’origine de l’eau et percer un peu plus le mystère de ce siphon. Ils sont allés à 165m de profondeur dans le S3, puis 200m… une plongée hors-norme bien loin de la lumière du jour. Un voyage intérieur, physiquement, bien sur, mais surtout cérébralement. Les images qu’ils vont ramener vont illustrer ces endroits mystérieux où je ne peux pas aller, et où les ténors de cette activité ont projeté leur ombre. Tardy, Sessegolo, Hasenmayer, Leguen, Establie… des kilomètres de fils pour écrire la légende.

Plus sereinement et à mon niveau, je m’engage dans les montagnes russes du S2, pour mettre des images sur les émotions que j’éprouve. Suivre ce fils ne peut pas laisser indifférent. Ou alors, c’est qu’on ne le regarde pas… Comme me l’a si bien dit Pierre Aimon, et même le cartésien Francis Leguen, la Mescla parle aux oreilles qui veuillent bien l’entendre. Il faut savoir écouter sans voir…

J’ai éprouvé des sensations d’une rare intensité dans les mâchoires du laminoir. De la plénitude, de la sérénité, mêlées à des pensées sombres que l’histoire nous rappelle à chaque instant, comme la ceinture de plombs de Djé… La Mescla ne laisse pas indifférent. En salle de montage, à F3, il était rare de ne pas avoir 2/3 personnes dans la salle, silencieuses, pétrifiées, mais fascinées. Monter ce film, c’était pour moi un voyage temporel et magnifique.

Fred et Didier sont retournés dans les profondeurs de la terre. Les sirènes de la Mescla les ont emmené jusqu’à 200m de profondeur, sans toutefois leur dévoiler les mystères du siphon. Le ventre de la terre garde bien ses secrets dans son écrin de calcaire. L’eau continue de s’écouler sous la montagne, chaude et salée…

Jérôme Espla

« De l’eau sous la montagne » diffusé sur France 3 en janvier 2016.

Images de la traversée du S2 de la Mescla, Jérôme Espla

Plongeurs: Didier Quartiano, Frédéric Swierczynski, Jérôme Espla

Images et montage: Arthur Establie

Revivez l’historique de cette cavité qui attire, impressionne, émerveille de grands plongeurs spéléos et scientifiques. Images superbes de Jérôme au cœur de la Mescla pour notre immersion dans ses profondeurs.

Le film est réalisé par Jérôme Espla pour « Poisson lune production ».

RECORD plongée souterraine multi-siphons (-267 m), 27 août 2016

Plongeurs :

    • Frédéric Swierczynski                                                                  

       

       

       

       

       

       

       

      Photo : Philippe Assailly
      Départ Siphon 1                                      Photo : P. Assailly
    • Didier Quartiano
    • Sylvain Redoutey
    • David Bianzani
    • Jérôme Espla
  • Arthur Establie        

Porteurs :

  • Erwan Kerner
  • Philippe Assailly
  • Serge Santantonio
  • Michel Isnard
  • Antonio Da Cunha

Prises de vue :

  • Pierre Aimon

Une première mondiale s’est déroulée à la Mescla (Malaussene, 06) ce samedi 27 août 2016.

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Frédéric Swierczynski, Sylvain Redoutey   Photo : P. Assailly

Aprés avoir franchi le S1 puis le S2 (avec des pointes à -69),  Frédéric Swierczynski accompagné de Didier Quartiano entame la descente vertigineuse du S3 ou se sont frotté de grands noms de la plongée souterraine. Cette exploration de la Mescla n’est reprise par les deux compères que depuis 2 ans et ils ont déjà poussé le terminus à -200m dans le S3 l’année dernière. C’est sans dire leur détermination à repousser encore plus loin la frontière de l’inconnu ce qui conduit Fred à faire une pointe de -267 mètres de profondeur pour 120 mètres de fil déroulé depuis son dernier terminus dans ce troisième siphon.

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David Banzani, Frédéric Swierczynski, Sylvain Redoutey, Didier Quartiano                                Photo : P. Assailly

Ils nous sont ressortis le sourire figé au visage, biens conscients de l’exploit « hors normes » accompli par des plongeurs d’exception. C’est le résultat d’une longue préparation physique, technique et mentale. Un travail collectif avec une cohésion parfaite entre eux ont permit au « pointeur » de s’évader vers les grands fonds de la Grotte de la Mescla. C’est énorme !

Après la séance de rinçage du matériel à Malaussene, la séance hydratation et restauration sur la placette du village a clôturé cette belle journée.