LE GOUFFRE BERGER

A. Il y a longtemps …

I. Explorations des réseaux noyés
A. Les jonctions :
 
1. Scialet des Rhododendrons
 
Le siphon est situé à -250 en amont de la « galerie de la Boue ».
En 1977, je l’explore sur une cinquantaine de mètres lors d’une sortie en solo depuis l’entrée. En 1981 Fred Vergier poursuit l’exploration. Finalement aidé par l’Association Spéléologique Nîmoise, je réalise la jonction gouffre Berger-scialet des Rhododendrons. Le siphon mesure 215 m pour 12 de profondeur. Le système souterrain du gouffre Berger atteint alors 1198 m de profondeur pour 20 km 400 m de développement.
 
2. Scialet de la Fromagère
 
Le siphon est situé à -842 m en amont de l’affluent de la « Rivière -1000 ».
En octobre 1990, aidés par de nombreux spéléos, je relie le gouffre Berger et le scialet de la Fromagère par un siphon long de 205 m et profond d’une douzaine de mètres. Deux explorations préalables ont échoué, l’une à cause d’une crue au fond, l’autre pour ne pas avoir plongé dans la bonne vasque.
Le gouffre Berger totalise alors 1271 m de dénivelé et dépasse les 25 km de développement.
 
B. Siphons terminaux depuis le S1 -1122 m
 
C’est en août 1956, au cours d’un camp international organisé par le groupe Spéléo du C. A. F. de Grenoble, que le premier -1000 de l’histoire spéléologique mondiale est franchi. Le siphon terminal de -1122 m est atteint.
 
En août 1963, l’Anglais Ken Pearce, avec l’aide du Pegasus Caving Club, plonge et franchit ce premier siphon long de 65 m et profond de 12 m. Quatre ans plus tard, il passe le S2 long d’une vingtaine de mètres et s’arrête sur un ressaut de 4 m.
 
En 1968, aidés par les clubs de la Seine et de Fontaine La Tronche, Jérôme Dubois et Bertrand Léger descendent ce ressaut ainsi qu’une petite cascade. Ils shuntent le S3 et échouent sur le S4, après avoir exploré 500 m de galeries.
 
En octobre 1977, je tente en solitaire depuis l’entrée du gouffre avec tout mon matériel, une exploration prévue sur deux jours en vue de plonger le S4, mais elle échoue vers -900 m. Ma claie de portage lourde d’une quarantaine de kilos descendue en tyrolienne, a frappé violemment l’un des bombements rocheux situés en aval du puits Gâché, ce qui brisa mon masque de plongée, constat que je n’ai fait que des heures plus tard au bord du S1 à -1122 m…
 
En octobre 1978, aidés par des clubs provençaux, Patrick Pénez, Fred Vergier et moi-même, atteignons au-delà du S3, par escalade, plusieurs départs sans suite, et butons dans un affluent sur un beau siphon amont. Finalement, je franchis en aval le S4, long d’une dizaine de mètres, explorant 30 m de petites galeries actives et plongeant le S5 en forme de joint de strate, jusqu’à -7 m. Cote atteinte -1148 m. 
 
En juillet 1982, Patrick Pénez aidé par des clubs provençaux poursuit l’exploration du S5 jusqu’à 170 m arrêt -50 m.
 
Afin de poursuivre l’exploration dans le S5, une plongée au mélange s’imposait, d’autant que je visais les -80 m. Cette plongée a eu lieu le 15 juillet 2003, grâce aux efforts d’une soixantaine de spéléos provençaux.
Ce type de plongée en fond de gouffre conditionne un bivouac pour éviter les efforts soutenus en sortant de la zone noyée, et éviter une remontée rapide en dénivelé à cause des différences de pressions.
 
J’ai réalisé quelques allers-retours entre les siphons, pour acheminer les 4 bouteilles de plongée : 1×4 litres à l’air, 1×4 litres à l’oxy et 2×7 litres au trimix. J’ai dû aussi équiper tous les ressauts à cause de ces charges. La progression est aisée mais je suis resté 7 heures au-delà du S1. J’ai aussi cherché certains passages que j’avais oubliés depuis octobre 78.
 
A ma grande surprise, les fils d’Ariane étaient presque intacts et en place. Pour gagner du temps, j’ai rééquipé le dernier siphon, d’autant que sur les 80 premiers mètres, le fil était souvent rompu.
 
Le S5 mesure 200 m, profondeur -52 m. Arrêt sur colmatage de galets situé dans un rétrécissement. L’exploration a duré 41 heures.
 
La profondeur est aujourd’hui de -1273 m. C’est peut-être la première plongée au mélange en fond de gouffre au-delà des -1000 m, ce qui permet d’ouvrir ainsi d’autres perspectives.
 
C. Cuves de Sassenage
 
Les plongées, auxquelles j’ai participé dans cette grotte, totalisent 800 m de siphons explorés (point bas -53 m). On se rapproche du gouffre Berger mais il reste encore 700 m de développement situés dans un calcaire marneux.
 
350 spéléos environ m’ont aidé lors de ces explorations, qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.
Fredo POGGIA

B. En 2022…

« ON A MARCHÉ  SOUS LA TERRE » (Alex Lopez)

« C’est un gouffre unique par le symbole du premier -1000 dans les années 55, aussi par la facilité d’accès à côté du Grenoble, qui est un lieu spéléologique.
Le fond de la Fromagère est une belle première engagée. Je suis vraiment content pour eux. C’est un réseau important, qui part en amont et qui permet de jonctionner quelque part avec le Berger. C’est évident.

Quand on parle de plusieurs gouffres, qui, potentiellement, jonctionnent, ça devient des réseaux, et on voit que dans le monde entier, il y a toujours des jonctions par des galeries fossiles, de partout, ça se fera certainement. C’est une évidence
».

Fredo POGGIA (extrait du documentaire « On a marché sous la terre »)

Le film « On a marché sous la terre », coproduit par France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et Bonobo Productions, retrace la tentative de Cédric Lachat (ancien champion du monde d’escalade) et David Parrot (spéléologue) pour jonctionner le gouffre de la Fromagère avec le mythique gouffre Berger, dans le massif du Vercors. Le récit de l’exploration à lire dans le Magazine Spéléo, nr 121, mars 2023, p. 20-27.

« Je trouvais la production de films spéléo très en retard par rapport aux films d’alpinisme. Ça a été vraiment ma grande motivation et c’est pourquoi je me suis battu pour que le film soit produit en télévision, pour toucher un plus grand public. Notre intention c’est ça : de changer le regard du grand public sur ce sport.

Quand on fait un film pour la télévision, il faut écrire l’histoire avant qu’elle ne se soit déroulée. J’ai donc dû écrire un scénario avec les événements que Cédric et David pourraient rencontrer. En spéléo, l’expédition est souvent rythmée par les mêmes rebondissements narratifs et les mêmes actions. Je me suis basé sur des récits d’exploration pour écrire mon histoire. Ils pourraient être confrontés à une crue, à des arrêts sur des blocs coincés, à des passages rétrécis avec de la boue… À partir de là, j’étais préparé à ce que ça arrive et j’avais déjà anticipé la manière dont je filmais chaque situation.

Le plus dur, c’est quand David et Cédric sont en exploration, en première (le moment où ils découvrent une nouvelle galerie) ! A ce moment-là, l’excitation de la découverte passe au-dessus de la réalisation du film et il faut les retenir.

Il a été très rare que je leur demande de refaire une scène parce que j’aurais raté ma prise. C’est arrivé une seule fois dans tout le tournage. Tout le reste a été pris sur le vif. C’est ce qu’on appelle le « cinéma vérité », je me suis inspiré de Marcel Ichac, qui a filmé en montagne dans les années 50. Il disait que tout se serait passé de la même manière s’il n’avait pas été là.

Travailler avec une société de production et une chaîne TV, ça alourdit tout le processus. Cela demande d’être capable de porter sur ses épaules un projet pour lequel on a beaucoup de comptes à rendre. Si un réalisateur veut réaliser un film sans contrainte, avec une liberté d’expression totale, il ne faut pas aller à la télévision. En revanche, j’ai été soutenu du début à la fin par la société de production et les coproducteurs de la chaîne TV, qui ne m’ont jamais mis de bâton dans les roues. Cependant, tout au long du processus, il faut pouvoir argumenter tous ses choix et c’est un travail monumental.

Les télévisions actuellement elles ne veulent pas de films d’expéditions. Mon axe de bataille a été cette histoire de conquête de l’inutile et d’y apporter une dimension plus philosophique sur la montagne et une réflexion sur l’être humain. Ce qui rapproche le film d’un film scientifique et c’est ce que beaucoup de télévision cherchent aujourd’hui. Je suis conscient des défauts de mon film mais il y a quelque chose, qui fait que le film est demandé, c’est qu’en spéléo on ne voit jamais ça. Une vraie démarche documentaire dans une grotte c’est très rarement fait, encore moins à cette profondeur et avec cette difficulté d’engagement là.

Travailler avec une boite de production et une TV, ça alourdit tout le processus. Si un réalisateur veut réaliser un film sans contrainte, avec une liberté d’expression totale, il ne faut pas aller vers la tv. La tv demande des confirmations sur certains aspects sur lesquels ils ont besoin d’assurance. À l’écriture, ils vont analyser tout le processus. Il faut tout détailler pour que la chaîne puisse se projeter exactement et qu’ils voient que tu as les compétences pour le faire : je note comment je veux réaliser le film, comment je vais filmer, quelles sont mes intentions, comment je vais utiliser la lumière, comment va se passer la post-production.

Sur mon projet, France « avait un doute, la narration n’était pas assez claire dans le dossier pour eux et avaient besoin que je développe et explique en détail. Si je n’avais pas fait ce film pour la tv, j’aurais travaillé 5 mois de moins. Mais l’avantage c’est que ça t’oblige à réfléchir à tout ce que tu fais et à être dans un processus de création très réfléchi, précis et conscientisé. Quand tu pars en tournage, tu sais exactement ce que tu vas chercher, tu sais quelle séquence il te manque, comment tu vas filmer, pourquoi, les questions que tu vas poser, où tu veux emmener tes protagonistes.

Quand France 3 a lu le dossier, ils ont dit qu’ils adoraient le lien avec les images d’archive !

Ça été le début d’une histoire, de celle de se battre tous les jours pour défendre ses idées. Si tu te laisses faire par les producteurs, les tv, le film ce ne sera plus le tien. C’est un vrai combat pour défendre ses idées, son équipe. Par exemple, pour le montage, je me suis battu pour pouvoir faire le montage chez moi. France tv a fini par accepter mais le montage devait être fait en 5 semaines. J’ai estimé que compte tenu de la complexité de mon film, il ne serait pas possible de faire le montage uniquement en 5 semaines. J’ai donc dû argumenter pendant 4 mois, heureusement mon producteur était avec moi, pour leur faire comprendre mon point de vue.

J’ai beaucoup été spectateur aux Rencontres Ciné Montagne de Grenoble, et chaque année j’étais un peu déçu par la production spéléo, qui était proposée ».

Le film a reçu plusieurs prix :

– Festival 360° d’aventure – prix spécial du jury ;

– Chamonix film festival (13-18 juin 2023) – prix spécial du jury ;

– MOC GOR Mountain Spirit Festival – Tatra National Park Prize ;

– Festival International du film alpin des Diablerets – Diable d’Or ”Exploration et aventure” ;

– Les quais de l’aventure – prix coup de cœur du jury ;

– Les écrans de l’aventure – grand prix « Toison d’Or » ;

– Horsky film festival – mention du jury.